Un article de James Cracknell
Lorsque je réponds avec honnêteté à la question : « Qu’est-ce que cela fait vraiment de gagner les Jeux olympiques? », mon interlocuteur semble toujours un peu déçu. Jugez par vous-même. Premièrement, malgré les revers essuyés, je n’ai jamais douté que je gagnerais une médaille d’or et, deuxièmement, la confiance que j’ai acquise grâce à cette victoire m’a été extrêmement précieuse pour me fixer des objectifs et les atteindre dans d’autres domaines de la vie.
Affirmer que vous allez gagner une médaille olympique indique un certain niveau de confiance en soi mais, quel que soit votre objectif, vous ne l’atteindrez jamais si vous ne définissez pas une démarche solide à suivre. Le fait d’avoir fixé des étapes à franchir pour atteindre le niveau pour gagner un championnat à partir de mon niveau de base, m’a convaincu que tout est possible pourvu qu’un chemin soit tracé.
Je suis conscient que ma réponse ne fait pas appel aux émotions et concourir devant 100 000 personnes est une expérience phénoménale, mais je peux aussi m’identifier à la scène finale de Rocky 3. Apollo Creed et Rocky Balboa, ayant chacun gagné leurs combats précédents, s’affrontent dans un gymnase vide, simplement pour savoir qui est vraiment le meilleur. Ce n’est probablement pas l’analogie la plus classe, mais il s’agit en effet davantage d’une recherche de satisfaction personnelle plutôt que de l’attention du public.
Lorsque j’ai quitté l’école pour m’entraîner dans le même club que Steve Redgrave (qui avait déjà remporté deux médailles d’or), je me suis imaginé que si je pouvais le battre une fois par mois, puis une fois par semaine, et enfin tous les jours, je pourrais prouver que j’étais à la hauteur pour remporter les Jeux olympiques. Mais il me restait à le convaincre. Steve m’avait entraîné lors de ma préparation pour les championnats du monde des moins de 18 ans. Au cours de la première séance d’entraînement, j’ai chaviré, alors j’ai pensé que ce n’était probablement pas le meilleur moment de lui annoncer que dans dix ans, nous participerions aux Jeux olympiques ensemble.
Sept ans plus tard, cette perspective ne semblait toujours pas très probable en raison des revers que j’avais essuyés. J’avais été sélectionné pour les Jeux olympiques de Barcelone en 1992, mais je me suis cassé l’épaule en jouant au rugby. Ensuite, on m’a proposé d’être remplaçant, mais, contrairement aux remplaçants d’un match de football, il est impossible d’être parachuté dans le bateau une fois la compétition commencée si les choses ne se passent pas comme prévu. Alors j’ai préféré ne pas y aller. D’un côté, j’ai passé un bon été, mais j’ai perdu mon sponsor, alors j’ai dû m’entraîner et travailler en même temps lors de la préparation pour les Jeux olympiques d’Atlanta de 1996.
La différence entre un athlète à temps plein et un athlète qui doit concilier entraînement et travail ne réside pas tant dans le volume d’entraînement que dans le temps de repos et de récupération disponible. Je suis allé aux Jeux olympiques d’Atlanta et j’ai attrapé une angine (probablement en raison de l’affaiblissement de mon système immunitaire) le jour de la cérémonie d’ouverture. J’ai été contraint de passer les Jeux olympiques en quarantaine. C’étaient les deuxièmes Jeux olympiques pour lesquels j’avais été sélectionné sans pour autant figurer à la ligne de départ.
Les Jeux de 1996 ont été très décevants pour l’équipe de Grande-Bretagne. Nous n’avons remporté qu’une seule médaille d’or, celle de messers Redgrave et Pinsent. Mis à part le fait que sa performance a donné envie à tout le monde de s’améliorer au tir pour pouvoir le dégommer si on l’apercevait sur un bateau, Steve a annoncé qu’il allait participer à l’épreuve Quatre sans barreur aux Jeux olympiques de Sydney. Bien que les maths ne soient pas mon fort, j’ai pu déterminer qu’il leur manquait deux personnes. Le processus de sélection est objectif et ne consiste pas à déterminer qui convient le mieux aux côtés de Wayne Rooney en attaque. Même si j’avais été un athlète ‘malchanceux’ par le passé, si je répondais à tous les critères de sélection, il me serait impossible de ne pas être choisi.
Les critères de sélection correspondaient notamment à des tests de vitesse sur les rameurs, à la levée de poids dans la salle de sports, à une course d’aviron en solo pour former des binômes de même vitesse, de façon à ce que les deux meilleurs binômes forment l’équipe de quatre rameurs.
Les quatre athlètes qui ont participé aux Jeux olympiques de Sydney en 2000 se sont entraînés ensemble pour la première fois en avril 1997. Notre entraîneur nous a alors dit : « Vous serez jugés sur une seule course, celle du 23 septembre 2000 à 10h30. Pour être sûrs de gagner, votre pire performance doit être meilleure que la meilleure des autres. »
Ce mantra nous a guidés lors de nos entraînements, considérant chaque course gagnée comme une défaite afin de nous forcer à progresser. Nous n’avions pas établi de règle concernant la responsabilité personnelle. Si vous ne pouviez pas faire confiance à vos équipiers en dehors des entraînements, vous ne seriez pas en mesure d’avoir confiance en eux en pleine finale olympique, lorsque votre corps vous supplie d’arrêter.
Nous avons remporté la victoire à Sydney et Steve est à peine parvenu à se contenir sur le podium. Lorsque nous sommes revenus à l’abri pour bateaux, notre entraîneur nous a fait la remarque : « Ce n’était pas une très bonne performance », avant de nous demander de noter la course sur 10. La plus haute note a été de 6. Pour être honnête, notre pire performance n’aurait pas été suffisante pour gagner, mais, en plaçant la barre haute, notre performance moyenne a été suffisante.
Je n’étais pas sûr de vouloir continuer pour participer aux Jeux olympiques d’Athènes. Notre entraîneur s’en est rendu compte et s’est approché de moi à l’aéroport de Sydney en me glissant subtilement les mots suivants : « Tout le monde peut gagner une fois, les vrais champions le font plusieurs fois. » Et c’est ainsi que je me suis enrôlé pour quatre ans supplémentaires.
Comme Steve Redgrave avait finalement décidé de mettre fin à sa carrière, Matt Pinsent et moi avons fait équipe en binôme. Pendant deux ans, nous avons été couronnés de succès en remportant deux championnats du monde et en battant le record du monde lors de notre préparation pour le deuxième championnat. C’est à ce moment-là que nous avons enfreint notre règle d’or et que nous avons considéré qu’une victoire est une victoire. Nous avions établi un niveau plus élevé que nos adversaires estimaient possible d’atteindre. N’ayant pas progressé durant l’entraînement des longs mois d’hiver, nous avons été largement distancés l’année suivante. Même si nous avions perdu, mais que nous nous étions bien entraînés et que nous avions fait une bonne course, j’aurais accepté la supériorité de nos adversaires. Ce qui était inacceptable, c’est que nous ne nous étions pas donné les meilleures chances de gagner.
Avec un temps de 9,69 s, Usain Bolt a montré aux autres sprinters le niveau qu’il était possible d’atteindre à l’épreuve du 100 m aux Jeux olympiques de Pékin. L’année suivante, il a remporté le championnat du monde avec un temps de 9,58 s. S’il ne s’était pas amélioré, l’Américain Tyson Gay l’aurait battu avec ses 9,69 s, qui lui ont valu la médaille d’argent.
De retour à l’entraînement après notre défaite au championnat du monde de 2003, notre entraîneur était convaincu que notre meilleure performance nous permettrait de gagner, mais que nous n’avions pas prouvé que notre pire performance, ou même notre performance moyenne, étaient suffisantes pour remporter la victoire. Donc Matt et moi avons été réintroduits dans une équipe de quatre sans barreur seulement trois mois avant les Jeux olympiques d’Athènes de 2004. À six semaines des Jeux, nous avons dû remplacer un équipier pour blessure, ce qui a fait que l’épreuve éliminatoire olympique a été notre première course ensemble.
Nous avons eu une période de temps limitée pour apprendre à nous faire confiance et nous ne voulions pas que la réorganisation de l’équipe soit une excuse pour atténuer nos attentes. Pour grappiller toutes les millisecondes possibles, nous avons créé une culture basée sur la franchise totale afin d’encourager chacun à faire des commentaires et à agir en conséquence sans rancune. Matt et moi étions probablement trop centrés uniquement sur la victoire, donc nous nous sommes recentrés et avons utilisé l’ampleur des Jeux pour accroître notre performance.
Le jour de la finale olympique, nous pensions que notre meilleure performance pouvait nous permettre de gagner, mais comme nous n’avions jamais fait la course ensemble auparavant, nous ne pouvions pas en être certains. Si nous avions écouté ceux qui avaient imposé une limite à notre performance potentielle, nous n’aurions jamais gagné car nous avons franchi la ligne d’arrivée avec seulement 0,08 s d’avance. Il n’y avait pas vraiment de marge d’erreur.
En dehors du sport, j’ai appris qu’il était dangereux d’imposer une limite. Il y a un an aux États-unis, j’ai été renversé à vélo par un camion-citerne et si j’avais accepté le pronostic des experts concernant mes perspectives de récupération, je n’aurais pas pu les surpasser. Mais, en étant convaincu que je retrouverais ma forme d’avant, je me suis donné les meilleures chances d’y parvenir.
Donc les leçons que j’ai tirées de mon expérience sont les suivantes: assurez-vous que votre pire performance est meilleure que la meilleure des autres, considérez une victoire comme une défaite et ne laissez personne imposer une limite à votre potentiel.